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“Formes et doctrines de l’État” (Compte-rendu de colloque)

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Le colloque sur les formes et les doctrines de l’État, organisé par les Universités de Paris 1 et Paris 10, s’est tenu les 14 et 15 janvier 2013 et a réuni juristes, historiens et théoriciens du droit. S’il a laissé place à d’intenses échanges autour des origines et de l’historicité de l’État, on peut regretter que sociologues, politistes et anthropologues n’aient pas été conviés à la table des discussions, car ils auraient, sur bien des points – la place du droit dans les sociétés sans État, les vecteurs de légitimation de l’État et la domination bureaucratico-légale que celui-ci exerce, la polyarchie institutionnelle et la multiplication actuelle des niveaux de gouvernance, les régimes de normativité non-juridiques etc. –, permis de faire varier les approches et les méthodes. L’histoire des idées et des théories politiques, l’histoire intellectuelle et les essais de critériologie ont donc eu la part belle, davantage, d’ailleurs, que l’histoire des textes normatifs et des concepts juridiques1.

Les questionnements méthodologiques, cependant, ne furent pas absents de ce colloque, dans la mesure où tous les participants ne parlaient pas d’une même voix ni depuis le même lieu. Se sont globalement affrontées les approches descriptive et normative, ayant pour toile de fond l’opposition entre induction et déduction. Michel Troper a d’emblée nuancé cet antagonisme en distinguant trois façons de définir l’État. La première, généralement partagée par les historiens, reprend les catégories passées pour décrire les formes historiques de la puissance publique (imperiummajestasres publica, etc.). Le risque est cependant de verser dans un nominalisme radical et de s’interdire ainsi tout comparatisme. Or, selon Jacques Krynen, la chose « État » – si l’on veut bien entendre par là « le programme d’organisation juridique d’un pouvoir garant de la communauté politique » – préexiste bel et bien au mot. Celui-ci n’envahit en effet le discours politique que dans la première moitié du XVIIe siècle, pour ensuite disparaître (ou presque) au profit de la « Nation » (cf. notamment les Constitutions de 1791 et 1793).

La seconde approche, que l’on peut qualifier d’idéal-typique, bien que Max Weber ait rarement été cité au cours de ce colloque, établit un certain nombre de critères distinctifs pour en étudier les modulations dans le temps et dans l’espace : monopole de la violence légitime, domination bureaucratique, centralisation du pouvoir, hiérarchisation des normes, mise en place d’une fiscalité homogène, administration de la justice, pouvoir législatif, territorialisation de l’espace gouverné, ont, pêle-mêle, été convoqués. Nul ne clôt ni ne s’accorde sur cette liste des caractéristiques essentielles de l’État, qui vise davantage à décrire le contenu du pouvoir qu’à en théoriser la forme. Une telle liste, souligne Troper, repose sur l’anachronisme volontaire, consistant à user de catégories contemporaines pour désigner les institutions anciennes.

La troisième approche a donc la préférence de Troper, parce qu’elle permet de dater historiquement l’État tout en lui assurant sa stabilité conceptuelle : il s’agit de la théorie kelsenienne du droit, dont on sait qu’elle définit l’État comme le produit d’un système hiérarchisé de normes référées à une autorité suprême nommée souveraineté2. Cette unité du droit et de l’État, génératrice de la souveraineté, serait l’apanage d’une modernité politique et juridique ayant vu le jour à la fin du Moyen Âge. Olivier Beaud affiche son désaccord avec cette théorie, puisque c’est l’État qui, pour lui, constitue une réponse institutionnelle à la question de la souveraineté, et non la souveraineté qui serait le produit de l’État3.

La nature des rapports entre État et souveraineté ainsi qu’entre État et droit a naturellement fait l’objet de plusieurs communications, dont celle d’Aldo Schiavone, l’auteur d’un ouvrage important sur le sujet, paru il y a quelques années et, depuis, traduit dans plusieurs langues4. L’historien montre que le droit romain s’est développé en l’absence d’État, entre le IIe siècle avant notre ère et le IIIe siècle ap. J.C. On peut donc identifier l’existence d’une normativité juridique, qui se déploie en un dispositif casuistique créé et orienté par un petit groupe d’experts, sans que la puissance publique soit définie comme « État ». Cette position va à l’encontre de la théorie kelsenienne selon laquelle droit et État forment une unité que l’histoire ne peut démentir. Jean-Louis Halpérin tente, lui, le pari de réconcilier théorie du droit pure et histoire du pouvoir politique ; du moins propose-t-il une lecture sensiblement différente du droit romain, puisqu’il y voit l’existence d’une double hiérarchie des normes, à la fois « statique » et « dynamique », pour reprendre la terminologie de Herbert Hart5. À l’origine d’un État qu’Halpérin qualifie de « pré-moderne », ce pluralisme normatif disparaît aux IIIe-IVe siècles de notre ère, au profit d’un « absolutisme juridique » fondé sur la majestas impériale.

Le pouvoir public ne se dit dans les termes de la « souveraineté » qu’à partir de Jean Bodin. Comme l’a montré Yves Sassier dans sa communication consacrée aux réemplois médiévaux du concept de respublica, le Prince n’est pas pensé comme un législateur tout-puissant, du moins dans la théorie politique du Policraticus de Jean de Salisbury écrit vers 1156. Plus encore, si le Prince est bel et bien comparé à la tête du corps politique, il n’en est pas moins soumis à l’âme que seuls les clercs insufflent. La métaphore organiciste, appelée à une si longue postérité, ne défend donc pas l’idée d’un souverain autonome. Cette fiction juridique d’une autorité législative à laquelle les sujets doivent obéissance et qui n’est soumise à personne, émerge au XVIe siècle. L’intervention de Michael Lobban a cependant permis de montrer qu’aux yeux des juristes anglais du XIXe siècle, cette assimilation de la souveraineté et de l’État était loin d’aller de soi. John Austin notamment, le fondateur du « legal postivism », s’est servi du concept de souveraineté pour donner au système juridique son unité (le droit ne peut qu’émaner du souverain), et non pour décrire l’État.

La question demeure de savoir si l’on peut se passer d’une conception constitutionnaliste de l’État qui tend évidemment à assimiler cette forme institutionnelle du pouvoir au système hiérarchisé de normes qui le sous-tend. C’est le pari que fait François Saint-Bonnet, qui, de Bodin à Rousseau, lit dans les théories politiques de l’Âge moderne, une tension permanente entre l’État d’une part, conçu comme un groupement politique artificiel qui bride ou, au contraire, permet la liberté des individus, et les communautés d’autre part, définies comme les lieux, librement choisis, de l’amitié. C’est aussi l’hypothèse que formule Olivier Beaud : en définissant l’État comme une association de citoyens, eux-mêmes caractérisés par un certain nombre de droits civils et politiques, Beaud semble congédier les assimilations évoquées supra entre État et Constitution, mais aussi entre État et souveraineté.

Cette hypothèse ouvre la porte à la prise en compte des multiples niveaux de gouvernance et à leur histoire ou, plus exactement, de la « gouvernementalité », pour reprendre les termes d’un Foucault qui s’était affranchi de l’objet « État » au profit d’une micro-physique du pouvoir. Au terme de ce colloque, l’État apparaît finalement comme une fiction efficace ou, au contraire, comme une illusion faible, selon les contextes dans lesquels son histoire est menée ou sa théorie élaborée. Dans la continuité d’un article fameux paru en 2002 dans les Annales ((Emanuele Conte, « Droit médiéval. Un débat historiographique italien », in Annales. Histoire, Sciences sociales, 2002/6, 57e année, p. 1593-1613.)), Emanuele Conte est revenu sur les fondements idéologiques de l’histoire du droit, qui s’est, pour partie, construite sur l’opposition doctrinale entre un droit conçu comme l’émanation du peuple – on trouve aujourd’hui l’empreinte de cette vision chez certains juristes et médiévistes italiens tels que Paolo Grossi et Ugo Mattei6 – et un droit comme instrument de la puissance souveraine. Dans les années 1920-1930, les historiens du droit de la Verfassungsgeschichte comme Theodor Mayer et Otto Brunner, se sont non seulement inspirés du germanisme du XIXe siècle mais aussi de Carl Schmitt et de son concept d’Ordnung permettant de se dispenser du concept d’État pour assimiler la règle de droit à la règle de vie.

En invitant les historiens du droit à revisiter l’histoire de leur discipline, Conte suggère une lecture historienne et philologique des textes romains et médiévaux qui ne soit plus brouillée par les théories échafaudées au XIXe siècle et par leurs avatars contemporains. L’intervention de Paolo Alvazzi del Frate consiste, elle, à comparer les nationalismes juridiques formés dans la première moitié du XIXe siècle. L’histoire du droit naît durant la période des Restaurations en Europe et sert dès lors les desseins nationalistes des États. De manière salutaire – un tel impensé eût été dommageable dans le cadre d’un colloque sur les doctrines de l’État… –, la communication d’Alvazzi del Frate rappelle que ce ne sont pas tant l’État et le droit qui sont inextricablement liés que l’État et l’histoire du droit.

Reste, comme l’a souligné Antonio Padoa-Schioppa, que l’on peut aujourd’hui vouloir sauver cette fiction qu’est l’État face aux coups de boutoir qui lui sont chaque jour portés par les institutions transnationales, d’une part, et les formes de régulation privée, d’autre part. Dans un contexte de crise économique et sociale profond, l’État peut-il redevenir le garant du bien commun et de l’intérêt général ou est-il voué à imploser au profit de nouvelles formes juridiques de gouvernance ?

Arnaud Fossier

Pour citer ce billet : Arnaud Fossier, “Formes et doctrines de l’État : compte rendu de colloque”, Séminaire des membres de l’École française de Rome, le 17 janvier 2013. Url : <http://semefr.hypotheses.org/746>

  1. L’auteur de ce billet n’a pas assisté à l’ensemble de ce colloque et n’a pu faire état de toutes les communications entendues.
  2. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, LGDJ, 1999 [1960].
  3. Olivier Beaud, La puissance de l’État, Paris, P.U.F, 1994.
  4. Aldo Schiavone, Ius. L’invention du droit en Occident, Paris, Belin, 2009.
  5. Herbert L. A. Hart, The Concept of Law, Oxford, Clarendon Press, 1961.
  6. Paolo Grossi, L’ordine giuridico medievale, Rome-Bari, Laterza, 1995 ; Ugo Mattei, Beni comuni. Un manifesto, Rome, Laterza, 2011.

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